Voici des extraits de l'article (intéressant malgré le style épouvantablement "magazine") paru dans "Lui" n° 38 Février 1967, à propos de Chase.
« Peu de personnes savent vraiment comment vit Chase…
On prétend qu'il s'agit d'un homme très calme, vivant en France depuis douze ans mais ne parlant presque pas un mot de français.
Il a soixante ans mais il en paraît quarante. Il ne fait rien de particulier pour se maintenir dans une forme aussi spectaculaire.
Au contraire il a une sainte horreur de la culture physique, un goût démesuré pour les petits plats en sauce, une amabilité certaine à l'égard de l'alcool et une propension à fumer soixante cigarettes par jour.

Il n'a pratiquement jamais mis les pieds aux USA, il ne saurait pas appliquer une prise de judo sur quelqu'un sans se faire extrêmement mal, il a très peu de goût pour les boîtes de nuit, il se lève chaque jour à cinq heures trente…
Dans la vie il est aussi violent qu'une tarte à la crème, les femmes fatales l'intéressent autant que la culture des épinards…

Après le succès de "Pas d'orchidées…" Chase n'abandonna pas tout de suite son métier de courtier à 3 dollars par semaine.
Il se disait que tout ce succès était peut-être le résultat d'un hasard et qu'avant de lâcher un « métier solide », il valait mieux faire un deuxième essai…

Alors que ses revenus lui permettraient aisément de prendre résidence dans un château écossais avec quinze domestiques et une Rolls Royce pour chaque jour de la semaine, Chase a choisi de s'installer dans un petit appartement d'expert-comptable situé au septième étage d'un immeuble très ordinaire où l'ascenseur ne consent à fonctionner que lorsqu'on crie très fort.
Une fois seulement, il voulut se faire construire une demeure. Ce fut un désastre.

" Un jour, nous trouvons un terrain merveilleux au nord du lac Léman, dans le canton de Vaud (Suisse) : un endroit très beau avec une vue extraordinaire sur le lac, les montagnes, etc.…
Alors nous convoquons les architectes, nous leur expliquons très exactement ce que nous voulons et, une fois que les plans sont dessinés, nous partons en voyage.
Bien ! En revenant, la maison était terminée… une catastrophe !
Voyez-vous, nous sommes anglais… donc stupides. Nous pensions en yards et en inches tandis que les architectes pensent en mètres et en centimètres.
Résultat : la maison était gigantesque, absolument hors de proportions. Impossible de vivre là-dedans : nous étions comme deux pois chiches dans une cuve à mazout…
Alors nous avons quitté la Suisse et nous sommes revenus nous installer en France. "

Pourquoi pas en Angleterre ?
" En Angleterre ? Avec ce climat, ces taxes, cette nourriture abstraite et la mentalité des gens ?…
Pourtant, tout dans Chase indique l'Anglais typique : sa manière de s'exprimer, de s'habiller, la coupe de sa moustache, la coloration de ses joues ;
il est l'Anglais majuscule pétri des meilleures traditions et de timidités les plus britanniques…

A propos de ses livres ;
" Tout est dans mon imagination.
Disons que je possède ce talent particulier de « savoir » ce qui retient l'attention des gens.
Je sais qu'il faut doser mes livres d'un peu de ceci, d'un soupçon de cela pour susciter l'intérêt qui les fera vendre.
Tout cela est le résultat d'une grande préméditation… une préméditation commerciale. Je décris l'Amérique dans ses moindres détails et pourtant je n'ai jamais mis les pieds à New-York.
Je parle des femmes ogresses, superbes et fatales, mais je n'en ai jamais rencontré une seule.
Je décris des bagarres follement brutales et je n'ai jamais assisté à un match de boxe.
Aucun de mes personnages n'est basé sur un individu réel… sauf un ! "

Un soir, en 1935, soucieux de se documenter, Chase va voir sa femme et lui annonce le plus naturellement du monde :

" Je sors me chercher une prostituée. Je rentrerai sans doute assez tard. "
Sylvia, en épouse aimante et compréhensive, se contente de hocher la tête et de répondre à son mari :
" Couvre-toi bien, il risque de pleuvoir. "

Chase va donc se promener dans les rues de Soho en cherchant la péripatéticienne qui pourrait le mieux convenir à se besoins.
Il en trouve une et l'aborde en ces termes :
" Bonsoir madame. Je suis écrivain et je voudrais vous poser quelques questions. Combien ? "
A partir du moment où il a posé la question magique, ils conviennent d'un tarif de 10 livres et vont s'enfermer ensemble dans un hôtel borgne.

La femme se nommait Eva et lorsque Chase sortit de la chambre quelque trois heures plus tard, il avait tout simplement en main les éléments d'un roman dont on parle aujourd'hui encore comme d'un « monument de la littérature parallèle ».

" Cette rencontre fut une manière de révélation. Je découvris chez Eva un mépris fantastique pour l'homme, un mépris doublé de répulsion, un sentiment voisin de celui que j'éprouve en voyant une araignée.
Dès que j'en vois une, je perds la tête de dégoût. Je m'enfuis de l'appartement, je suis révulsé et écœuré…"

"Je suis merveilleusement marié… c'en est presque incroyable.
Toutefois dès qu'il s'agit de mon travail, je n'imagine pas la femme autrement que comme le protagoniste qui mène la danse.
Je suis convaincu que les femmes sont nettement supérieures aux hommes en bien, en mal, en force de caractère et en esprit de décision.
Elles résistent mieux à la douleur, elles ont plus d'énergie, bref… auprès d'elles, les hommes sont généralement des lavettes…

Chase est régulièrement assailli et questionné par d'éminents intellectuels qui essaient à toute force de lui faire avouer des « motivations sociologiques et perverses ».
Il est terrifié par ces analystes…

" Ecoutez, soyez gentils. Il faut me croire. Je suis un écrivain purement « commercial »… rien d'autre. Je n'ai pas de message à délivrer, je n'ai pas de haine à assouvir ; je suis parfaitement heureux en ménage et j'écris uniquement pour gagner de l'argent. "

Une question reste : pourquoi place-t-il généralement l'action de ses livres aux Etats-Unis ?
" Parce que c'est un pays où tout, absolument tout, peut arriver : les situations les plus invraisemblables, les êtres les plus inattendus et les décors les plus étranges peuvent y trouver leur place.
C'est presque une solution de facilité que d'utiliser ce cadre. "

Dans "Pas de mentalité", il avait inventé un système de hold-up tellement invraisemblable que même ses proches fanatiques n'avaient pu retenir un sourire : des bandits attaquaient un fourgon automobile, mais plutôt que de l'ouvrir sur place et se servir, ils l'enfermaient dans un immense camion semi-remorque et passaient ainsi à la barbe de tous les barrages de police.
Or, un an après la sortie du livre, cette méthode fut scrupuleusement appliquée par un groupe de gangsters américains qui empochèrent près d'un million de dollars.
(Pascal Bergues)

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